Ab Paul, Dernière mise à jour: Lundi 14 février 2022

Jérusalem ouest, à proximité de la porte de Jaffa, le 11 février 2022.

Jérusalem vue du Mont des Oliviers © Ab Paul

Jérusalem! Jérusalem! Te voilà enfin. Tes murs s’élèvent devant moi, non comme un obstacle sur ma route, mais comme la couronne sertie de bijoux, qui orne le front d’une reine. Tes portes sont autant de ponts que franchissent les fils et les filles des hommes.

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem !

Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un!
C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur,
* là qu’Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur.

C’est là le siège du droit, * le siège de la maison de David.
Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment !
Que la paix règne dans tes murs,
le bonheur dans tes palais ! »

A cause de mes frères et de mes proches,
je dirai : « Paix sur toi ! »
A cause de la maison du Seigneur notre Dieu,
je désire ton bien.

Ps 121 Psaume des montées

Prononcer ton nom au pied de tes remparts est comme la récompense d’une longue quête, comme la contemplation de l’horizon et du paysage du haut d’une montagne que l’on vient de gravir avec peine.

Y a-t-il une journée où, comme chrétien et comme prêtre je ne prononce pas ces syllabes, Jé-ru-sa-lem? Combien de psaumes parlent de toi? combien de prophètes portent ton nom à nos lèvres? Combien de perles d’Évangile voient le divin maître arpenter tes rues et les parvis de ton temple, tantôt avec un fouet d’indignation, tantôt avec une parole de pardon?

Expérience de pèlerinage vers Jérusalem et expérience de lecture de la Bible

Jérusalem est sur une colline, on y monte. Or savez-vous quels sont les derniers mot de la bible hébraïque?

Ainsi parle Cyrus, roi de Perse: « Tous les royaumes de la terre, le SEIGNEUR, le Dieu des cieux, me les a donnés et il m’a chargé lui-même de lui bâtir une Maison à Jérusalem, qui est en Juda. Lequel d’entre vous provient de tout son peuple? Que le SEIGNEUR son Dieu soit avec lui et quil monte » …

Second livre des Chroniques, 36, 22-23

Les Juifs qui étaient en exil à Babylone (Irak actuel) en 587 avant Jésus-Christ purent « monter » de nouveau à Jérusalem après 537. Ce qui fut un déplacement de population à un moment précis de l’histoire, est devenu le prototype des pèlerinages vers Jérusalem. A la suite de ces ancêtres du VIème siècle, de nombreux lecteurs de la Bible Juive – et par là même de nombreux lecteurs chrétiens – se sont mis eux aussi en route, en pèlerinage vers Jérusalem. Mais Jérusalem n’est peut-être pas seulement la ville matérielle, physique. Ne serait-elle pas le symbole d’une autre Jérusalem ? Comme le dépeint magnifiquement Jean-Pierre Sonnet, bibliste belge enseignant à Rome :

Par sa finale, la Bible juive se met tout entière sous le signe du pèlerinage. L’expérience ultime de son lecteur sera de se mettre en route et de monter, que ce soit vers la Jérusalem terrestre ou, de manière plus ultime encore, vers la Jérusalem céleste, la Jérusalem d’en haut.

Sonnet, J.-P., Le chant des montées : Marcher à Bible ouverte, “Littérature ouverte”, DDB, 2015, 8.

Faire l’expérience du pèlerinage, prendre ses chaussures et son sac à dos, arpenter Jérusalem, c’est donner de la chair, du concret, à ce qu’on a lu maintes et maintes fois. Pour prendre une autre image, c’est donner du relief et des contrastes à une photo terne.

Cette expérience n’est pas sans rapport avec l’incarnation de Dieu en Jésus. On touche du doigt ce grand mystère de notre foi. Le Dieu invisible se laisse approcher à travers la médiation du sensible, à travers l’expérience humaine, à travers l’indigence d’un monde limité dans le temps et dans l’espace.

Une ambiance cosmopolite

La multitude de langues, de cultures et de religions s’entremêlent ici et s’engage dans les ruelles étroites, sous l’ombre des balcons, des devantures d’échoppes, ou des ponts des soupires qui relient parfois les maisons de part et d’autre.

Le regard se porte très vite sur les accoutrements des passants. En effet, l’œil s’attarde à distinguer ce qui permet de déduire l’origine des uns ou des autres, même sommairement.

Ici un Juif orthodoxe portant haut et fier le schtreimel de shabbat, ce beau couvre chef noir et rond que Rabbi Jacob a rendu célèbre sous les traits de Louis de Funès, ainsi le touriste occidental en short avec son sac à dos.

Là un pèlerin et sa valise arrivant pour quelques jours à Jérusalem.

De ce côté-ci, le Hiérosolymitain (habitant de Jérusalem) chrétien de langue arabe, négociant en articles religieux aux abords du Saint-Sépulcre, et de l’autre côté, lui ressemblant étrangement, le Hiérosolymitain musulman de langue arabe commerçant en articles d’artisanat local, tous deux parlant le dialecte palestinien de la région.

Plus loin, un moine orthodoxe en vêtement noir avec son chapeau cylindrique de la même couleur, orné d’une belle barbe grise.

Enfin, nous n’oublierons pas les soldats palestiniens tout de vert vêtu côtoyant les soldats Israéliens en uniforme noir que des jeunes garçons palestiniens n’hésiterons pas à approcher, les yeux curieux des armes à feu ornant leur tour de taille – comme tout gamin de cette planète.

De fait, les premiers regard s’arrêtent sur l’apparence. Le visible est ce qui s’offre à nos yeux, cependant l’intelligence sait bien qu’elle n’a saisi là que la surface, comme un trompe l’œil. Il y a là un pas à faire pour rencontrer les personnes vraiment.

L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur.

Saint-Exupéry, le Petit Prince.

Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur.

1S 16,7b

Vient alors le temps des premières rencontres. Lieu de désarmement progressif des préjugés, lieu de connexion à ce qui nous est d’abord commun. Ce 11 février, c’est le scoutisme qui a fait le pont entre un ami prêtre, moi et un Palestinien, vigile dans un grand hôtel de Jérusalem. Nous avons partagé un thé ensemble près de la Porte de Damas, non loin de l’École Biblique. Quelle aventure que le scoutisme! Dire que cette pédagogie éducative à produit des fruits de service et de paix dans tous les pays et qu’elle rapproche au-delà de toutes les différences d’origine.

Dans une homélie pour la saint Cyrille et saint Méthode, le 14 février, le prédicateur nous invitait à être autant de ponts entre les gens…

Pont Saint Ange à Rome © Ab Paul

En quelle langue dire la messe?

Après cette rencontre imprévue, nous nous rendons dans le lieu où loge mon ami prêtre. Des sœurs franciscaines âgées tiennent un lieu qui a une grande capacité d’accueil, et ce tout près de la vieille ville (N’hésitez pas à y réserver votre chambre si vous venez). Au passage, il me raconte que l’absence de pèlerin due aux restrictions liées à la pandémie de Covid les a obligé à licencier le personnel et à faire l’entretien de la maison ainsi que la cuisine à tour de rôle, par elles-mêmes, et cela à des âges très avancés. Dur, dur.

À 18h, nous célébrons dans une petite chapelle la messe en hébreu (moderne), trois étudiantes habitant sur place sont présentes. La lecture de l’hébreu n’est pour le moment pas extrêmement fluide, il faut l’avouer. Mais jetons nous quand même à l’eau.

Au Biblical Institute, présence des Jésuites dans « la Ville de la Paix » – expression exhortative plus que descriptive -, lors de mon séjour, je dirai la messe en anglais. À l’École Biblique et Archéologique Français, alias l’EBAF, demeure des Dominicains, je concélèbrerai la messe en français. Le Biblique est en quartier juif, l’EBAF en quartier arabe. Bref, de quoi en perdre son latin!

Épilogue poétique

Pour conclure cet article, je vous propose ce poème écrit lors de mon premier pèlerinage en Terre Sainte en 2014, j’étais alors séminariste :

Jérusalem, je t’ai cherchée,
J’étais tendu vers ton entrée,
Au bas de tes hautes murailles,
Avant-poste de tes entrailles.

Du désert aride d’où je viens
Vers la montagne où tu te tiens,
Un chemin de jour s’est tracé
Jusqu’au mont des oliviers.

Tristesse, angoisse, il a pleuré
Pesant le poids de nos péchés,
Abandonné par ses amis,
C’est la souffrance, c’est la nuit.

Pleurant le Fils priant le Père,
Pleurant la mère au pied du Fils,
Foulant le sable de ta terre,
J’ai, du mystère, vu les coulisses.

Jérusalem, dévoile-toi!
Révèle enfin quelle est ma foi;
Fouler au sol les rameaux,
Ouvrir la pierre du tombeau.

Au mur où prient tes enfants
A mes lèvres les psaumes d’antan,
M’unissant de près au salut
Qu’Israël a tant attendu.

Ab Paul 2014
« I Love Jérusalem » près de la Nouvelle Porte
Un peu de reggae sur « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie ! » Psaume 137,5